13 mai 2015

The China Experience - 9/ The Short SteppeXperience

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Ulan-Bator Experience (Pt.2).


22 septembre 2002 - 28 septembre 2002 : The Short SteppeXperience, Bayankhongor (Mongolie).

La petite ville de Bayankhongor est perdue au milieu d’un paysage idyllique entre steppe, désert et montagnes. Au cours du long trajet en mini-van, je papote avec Lars, un Allemand. Il a pour projet d’acheter un cheval et de traverser la frontière sino-mongole illégalement. Ceci présente quelques risques mais il pense s'en tirer en prétendant s'être perdu, afin d’obtenir un visa de tourisme chinois sans passer par la case prison (je saurai plus tard qu’il y est parvenu). C’est un personnage très agréable, un peu timide et Souabe (une ethnie allemande dont j’ignorais l’existence). Il est âgé de vingt ans et se destine à une carrière de commandant de navires, une vie de voyages qui le séduit (j’apprendrai plus tard qu’il y est parvenu également). Il a passé son bac il y a un an, fait son service militaire et entrepris ce long périple qui l’a conduit en Russie, en Mongolie, bientôt en Chine et ensuite en Amérique du Sud.

Le trajet ne se déroule pas sans quelques péripéties. Après l’inévitable déjeuner de mouton bouilli, un vieillard nous raconte inlassablement des tonnes de trucs en mongol, que nous ne comprenons évidemment pas. Ensuite nous repartons sur une route qui n'en est pas une, puis le mini-van tombe en panne au milieu de nulle part. Comme personne ne parle anglais, Lars et moi nous demandons ce qui va bien se passer mais le chauffeur parvient à nous faire repartir au bout d’une heure. Finalement, vers vingt-et-une heures, on s’arrête près d’une yourte où nous dînons (encore) du mouton bouilli, puis on nous fait comprendre que tout le monde va dormir là. La halte n'avait pas été annoncée au départ mais que faire ? Nous passons une nuit épouvantable, à même le sol et sans couvertures. Tout le monde se réveille à sept heures le lendemain mais pour quelque obscure raison, nous ne repartons pas avant midi, après que Lars et moi ayons décliné un énième plat de mouton bouilli. Vers dix-huit heures, le bus s’arrête le temps que tout le monde vénère un ovoo (empilement shamanique de cailloux, dont il convient de faire le tour avant d’y jeter un caillou supplémentaire) et, alors que nous n'osions plus y croire, nous parvenons finalement à Bayankhongor.

Lars me propose de camper deux jours en ma compagnie avant de se lancer dans son périple et j’accepte volontiers. Nous nous retrouvons donc à quelques kilomètres de la ville, au bord d’un charmant ruisseau nommé Thuin Gol, dans une vallée verte couverte de fleurs roses. Le soleil nous réchauffe la journée mais les nuits sont assez froides : je me demande dors-et-déjà s'il sera possible de faire durer très longtemps mon expérience en solitaire. C'est fâcheux, parce que la rivière m’offre une totale autonomie en termes d’eau (je dispose de pastilles purifiantes), de sorte que je pourrais m'offrir dix jours de retraite ininterrompue comme je l'avais fait en Inde. Il vole dans les airs des sortes de tipules, inoffensives et sympathiques, le bruit de l’eau qui coule est une berceuse incessante. Smooth. Je passe la première journée à lézarder au soleil en toute quiétude, abandonné quelques heures par Lars qui est retourné en ville pour se renseigner à propos de son cheval. Je bois une petite fiole de vodka et apprécie la légère ivresse qui s'empare de moi, une heure durant, au milieu de ce paradis. Des Mongols viennent puiser de l’eau alentour et ne me prêtent aucune attention. Le deuxième jour, c’est moi qui m'éclipse quelques heures en ville, le temps de quelques achats et d'un email à ma princesse indienne. À mon retour, je trouve Lars en compagnie d’un couple de vieillards qui se sont assis à ses côtés et restent là, sereins et souriants, sans mot dire. Leur présence bienveillante est très agréable. Ils sont beaux, cet homme et cette femme qui semblent nous bénir en silence. Avant de partir, ils nous offrent à chacun une petite pierre, une sorte de cristal semi-transparent, et s’en vont bras-dessus bras-dessous dans la steppe.

Il est temps pour Lars et moi de plier bagage et de partir chacun de notre côté, lorsque surgit une jeep dont sortent cinq Mongols ivres morts, parmi eux un flic en uniforme. Lars et moi nous regardons et nous n’avons pas besoin de nous parler pour comprendre que nous partageons la même inquiétude. Nous sommes possiblement dans un très, très gros pétrin. Les hommes s’assoient près de notre campement. Un seul parle un vague anglais, qui semble être le chef. Ils se moquent ouvertement de nous, puis le Chef essaie d’obtenir que nous lui donnions nos passeports. Nous refusons fermement, car nous serions alors tout à fait à leur merci. Leur présence semble durer une éternité et la tension monte rapidement, bien que Lars et moi nous efforçons de dissimuler notre peur et de faire semblant de bien nous amuser avec eux. Ils nous invitent (c’est davantage une exigence qu’une invitation) à boire de leur vodka, puis deux adolescents passent avec un cheval et le Chef les appelle. Les deux jeunes sont de toute évidence aussi terrifiés que nous, peut-être à cause de l’uniforme. Le Chef exige que Lars fasse un tour de cheval et donne en contrepartie cinq dollars aux adolescents. Tout le monde s’exécute et les ados partent avec un soulagement visible lorsque le Chef leur signifie qu’ils sont libres. Comme quatre de nos oppresseurs se marrent bien, notre seule chance d’échapper au désastre est de jouer le jeu de la complicité, de sorte à ce qu’ils nous trouvent assez sympathiques et renoncent à nous piller et à nous passer à tabac. Mais notre principal souci est le cinquième membre de leur groupe : un colosse. Les Mongols sont balaises et n’importe lequel des cinq pourrait nous réduire en bouillie, mais celui-ci est vraiment immense, un monstre d'un mètre quatre-vingt-dix, tout en muscles. Il semble encore plus ivre que ses compères et lui ne rigole pas du tout. Il se contente tout du long de nous dévisager d'un air haineux, marmonnant de temps en temps quelque grognement peu aimable, et caressant de toute évidence le rêve de fracasser le crâne de ces deux « riches » européens. Au bout d’une demi-heure de ce manège, ils se décident finalement à partir et nous soupirons de soulagement en voyant la jeep de fondre dans l’horizon. Nous songeons qu’ils pourraient bien revenir après la tombée de la nuit et convenons qu’il est urgent de disparaître. Nous finissons d’emballer nos affaires et nous souhaitons bonne chance avant de filer aussi vite que nos jambes ne nous le permettent, lui au Sud et moi au Nord.

Je marche un moment le long de la rivière, avec mon sac sur le dos, lorsque arrive une autre jeep. Deux hommes sont à bord et ceux-ci semblent tout à fait inoffensifs. Ils veulent que je monte avec eux et je m’efforce de leur faire comprendre que je dois suivre la rivière. Comme ils acquiescent, je pense qu’ils ont compris et qu’ils vont me conduire plus loin, ce qui m’arrange. Mais à peine suis-je monté que la jeep part dans une autre direction. Nous parvenons à leur yourte. Là, une femme les engueule, visiblement contrariée par cet invité-surprise. Mais les deux hommes veulent que je reste et comme je me vois reparti à bouffer du mouton bouilli matin et soir, je m’en vais en remerciant poliment. Ils me courent après, m'attrapent par le bras, m’offrent de boire de la vodka, me demandent si je peux leur donner des dollars et Dieu sait quoi encore. Après l’épisode des cinq ivrognes, je suis comme qui dirait un peu à cran et à ce stade, j’ai vraiment envie de me faire mon trip tout seul dans la steppe. Mais ils insistent lourdement et comme ils ne m'effraient pas, je finis par hurler « I WANT TO GO!!! ». Il doit y avoir une telle détermination et un tel désespoir dans ma voix qu’ils me remettent illico dans la jeep et me ramènent à la rivière. Je suis navré d’avoir eu à crier mais depuis déjà trois semaines, je suis en quête de cette expérience de camping en solitaire : l’idée de devoir la repousser encore m'est insupportable.

Je trouve un endroit approprié pour la nuit, monte ma tente et dîne avant de dormir quatorze heures ! Le lendemain, je lève le camp et m’éloigne encore davantage de la ville (qui a déjà disparu de l’horizon), jusqu'à trouver un autre point d’ancrage. Seules au loin, quelques yourtes marquent encore une présence humaine. Le ciel par contre est gris désormais, et la température baisse dangereusement. Cette vallée qui, la veille encore, semblait si douce et si belle, a pris une tout autre couleur sous les nuages. La pierre prend le dessus sur l'herbe verte, et le paysage semble soudain désolé, vaguement angoissant. Je passe une partie de la journée à relire et à corriger L’Incident Œdipe (inédit), mon premier roman presque terminé, que j’ai décidé d'achever pour de bon durant ce voyage. Les feuilles dactylographiées se couvrent de ratures au fur et à mesure que je remplace des mots par d’autres et déplace des virgules. Le soir, la situation devient vraiment inconfortable : une tempête de sable éclate et j’en prends plein la figure avant de constater qu’il m’est impossible de faire fonctionner mon réchaud à gaz à cause du vent. Je finis par faire cuire mon riz à l’intérieur de la tente, mais le vent la courbe et je manque de peu d'y mettre le feu (une partie du tissu de la « porte » intérieure s’enflamme, mais je parviens à éviter la catastrophe). La nuit est tellement glaciale et le sol est si dur que je peine à dormir. Je voudrais bien au moins lire ou écouter de la musique mais je constate que ma lampe de poche et mon walkman sont inutilisables : les Mongols ont inventé les piles qui durent cinq minutes ! Le lendemain matin, à bout de nerfs, je me demande si je dois partir ou rester. Le soleil est bien revenu mais je pressens une baisse de température continue. Il me faut bien admettre que la steppe mongole est différente du désert indien. Ici, je suis en lutte perpétuelle contre les éléments : impossible de trouver la paix que je recherche.

Je persiste et passe une seconde nuit épouvantable. Dès l'aube, je replie ma tente avec les pires difficultés, car j’ai les doigts gelés, et reprends le chemin de la ville. Malgré le poids de mon barda, je marche sans halte durant plus de trois heures, parvenant finalement à rejoindre Bayankhongor. Là, j’attends deux bonnes heures une jeep susceptible de me conduire à Oulan-Bator. Avant de partir, le chauffeur nous fait faire trois fois le tour de la ville pour prendre d’autres passagers et faire les habituels trucs et machins incompréhensibles : descendre, aller Dieu sait où et revenir avec Dieu sait qui ou Dieu sait quoi ou parfois même rien ni personne… Au bout du compte, nous nous retrouvons neuf dans la jeep de cinq places, et la corpulence naturelle des Mongols n’arrange rien. Tassée contre moi, une jeune femme se fait draguer tout du long par le jeune homme qui est à ses côtés. Je m'en contreficherais s'il ne finissait par passer son énorme paluche autour de la taille de la jeune fille. Ainsi, je me retrouve encore un peu plus compressé par cette main inopportune, qui me vole encore quelques centimètres d’espace vital. En tout et pour tout, le trajet dure dix-neuf heures ! Dix-neuf heures ininterrompues (mis-à-part les haltes-mouton-bouilli) écrabouillé entre une Mongole et une porte de jeep, à bondir sur des sentiers de terre pas entretenus pendant que le chauffeur – ô comble de l'horreur – écoute de la pop mongole à fond les ballons. Il faut comprendre que la pop mongole est le genre musical le plus épouvantable jamais conçu par l'homme ! J’ai lu que les Mongols écrivent davantage de chansons d’amour à l’attention de leurs chevaux que de leurs femmes et, quoi que ne comprenant rien aux paroles, je n'en doute pas un seul instant. Toutes ces chansons respirent le cavalier à cheval dans la steppe et, au bout de dix-neuf heures, c’en est à gerber de mièvrerie hippique. La jeep me dépose finalement devant la guesthouse de Nassan à cinq heures et demie du matin, non sans avoir fait le tour d’Oulan-Bator en long en large et en travers. Une jeune et jolie Suédoise m’accueille avec un grand sourire et c'est comme un enchantement après tout ce bordel. Nous discutons une demi-heure, puis elle file attraper quelque avion pour la Suède. Je me précipite alors prendre ma première douche depuis une semaine et je dors douze heures d'affilée.


Prochaine expérience : The Ulan-Bator Experience (Pt. 3).

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