31 mars 2012

La paranoïa est-elle un virus informatique passant de la machine à l'homme ?

Il faut arrêter de faire circuler tous ces trucs conspirationnistes... Les gens sont en train de péter complètement les plombs avec ça sur internet... Ça a toujours été là mais récemment, avec les réseaux sociaux, ça prend des proportions alarmantes. Tout le monde y va désormais de son lien vers telle vidéo ou tel article démontrant que nous ne vivons en dictature, que nous sommes tous manipulés par un petit groupe d'Illuminati, que les médias sont tous et ne sont que les vassaux de cette élite politique, etc.

Je ne crois pas que cela serve en aucune manière la démocratie ou nos libertés individuelles... 

D'une part, cela banalise la diffusion de faux documents dont la fausseté, lorsqu'elle est démontrée, n'est même plus un problème ! On m'explique régulièrement que même faux, tel ou tel document a le mérite d'éveiller les consciences et doit donc continuer d'être diffusé ! Sans rire, c'est un argument de plus en plus repris par les « champions de la vérité » ! C'est comme ça que certains, depuis plus d'un siècle, justifient leur usage odieux des Protocoles des Sages de Sion, soit dit en passant ! (Je parlais déjà de ce problème ici.)

Dans d'autres cas, la preuve par l'enquête devient superflue. Je connais des gens qui font des recherches approfondies, afin de savoir si la version officielle des attentats du 11 septembre est ou non une fraude. Fort bien : il y a là un désir de preuves. Pour nombre d'autres internautes, néanmoins, il n'est plus nécessaire de vérifier les choses : la théorie, si elle est vraisemblable, est nécessairement vraieAinsi, plusieurs internautes m'ont affirmé que Mohammed Merah a été abattu sur instructions, qu'il n'a jamais été question de le capturer vivant. Sa mort n'est donc ni plus ni moins q'une exécution sommaire, un meurtre. C'est une accusation très grave contre les hommes politiques concernés ! Moi je veux bien y croire, ce n'est pas si fantaisiste comme idée après tout, mais qu'on me fournisse des preuves : un témoignage, un document, quelque chose ! Mais non, m'explique-t-on, il n'est pas nécessaire de chercher des preuves parce que c'est évident. C'est évident donc c'est vrai, point ! Il est donc légitime de hurler au scandale et de traîner nos institutions dans la boue sur les réseaux sociaux ! Et je me suis évidemment, dans la foulée, fait traiter d'imbécile et de naïf, qui fera moins le malin quand son tour viendra (allusion au célèbre poème First they came, donc atteinte du point Godwin). (De tout cela, je parlais déjà ici.)

Par ailleurs, je crois que toutes ces thèses complotistes endorment les gens qu'elles sont censées réveiller. Celui qui est convaincu que tout est décidé dans l'ombre, par un pouvoir secret et inaccessible, renonce de fait à user des outils démocratiques dont il dispose. Si le système tout entier est une mascarade, un mensonge, il est inutile de réclamer qu'on fasse des enquêtes, qu'on cherche des preuves de telle ou telle fraude, qu'on lutte contre les abus (j'entends devant un tribunal, pas en braillant sur Facebook). Le pouvoir ne permettra jamais qu'on le déstabilise donc tout est vain ! Je suppose que certains renoncent même à leur droit de vote et à tout droit de contestation juridique des institutions politiques et des grandes entreprises. Si tout est mis en scène, à quoi bon faire acte de citoyenneté ?

On peut donc imaginer que le meilleur moyen d'endormir les masses est au bout du compte... de leur faire croire qu'on essaie de les endormir ! Le citoyen-internaute déprimé, pessimiste, obsédé par ses théories du complot, sera plus docile encore que celui dont il se moque tant, à savoir le gros pigeon endormi par la télé-réalité.

Ne soyons pas naïfs. Bien sûr qu'on nous ment souvent, sur plein de trucsNe soyons pas non-plus paranoïaques. On ne nous ment pas toujours, ni sur tout. Reste aussi à déterminer qui est ce « on »« Il » n'est certainement pas si uni ni unique. Ne plus rien croire et ne plus croire en rien a priori et par principe, c'est renoncer à faire preuve de discernement. Sans discernement, nulle vigilance. Sans vigilance, nulle démocratie.

29 mars 2012

Crever bio ou pas bio ?

Dessin : IV
– « Plus raisonnable » ? Non, je vais te dire ce que c'est, moi ! Toutes ces conneries sur le fait de plus boire, d'arrêter de fumer, mener une vie saine et tout… C'est très sexy quand t'as vingt-cinq, trente-cinq ans : tu mûris, tu deviens adulte et responsable, tu te poses et tout ça… C'est très valorisant pour toi-même et je te parle même pas des minettes ! À vingt berges tu te pavanes parce que t'es un vrai et que tu te défonces et ça les excite, puis à trente balais tu te la ramènes parce que t'es un vrai et que tu te défonces plus et ça les excite de plus belle. OK : va pour le paradoxe ! Là-dessus, arrive la quarantaine et tout ce qui s'en suit ! Et là tu te rends compte qu'arrêter de boire et fumer, mener une vie raisonnable, comme tu dis, ça ne signifie plus devenir mûr : ça signifie devenir vieux. Il ne s'agit plus d'être un adulte responsable parce que ce cap-là, tu l'as déjà franchi ou pas : socialement parlant tout est déjà joué. C'est une affaire d'être trop vieux. Ça veut dire que le cancer te guette, sinon du moins la fatigue. Et la laideur, aussi ! Ça veut dire que tu vas crever bientôt et qu'il vaut mieux crever bio que pas bio. Ça veut dire que tu peux plus te permettre d'être un sale gosse parce que dorénavant ça va te retomber sur le nez. Je vais crever de toute façon, alors j'ai pas envie de raisonner comme ça, j'ai envie de vivre !
– C'est pas toi qui parlait de pragmatisme à l'instant ? C'est plutôt pragmatique de préserver son organisme après un certain âge. Que tu n'aimes pas ça, c'est un autre problème, mais tu vivras mieux en bonne santé que malade ! Alors quoi ?
– Alors fuck ! C'est complètement déprimant ! File-moi une clope !

Extrait de L'ami imaginaire, roman en cours d'écriture. 
Teaser ici.

27 mars 2012

Et ça continue, encore et encore...

(Photo : auteur inconnu)
L'affaire Merah déchaîne (évidemment) les passions et, comme toujours à présent, Internet se fait le théâtre de la vindicte populaire.

Sans surprise, il y a les croquantes et les croquants chers à Georges Brassens, qui s'empressent de maudire l'infâme islamiste, de se frotter les mains qu'on l'ait pendu haut et court sans autre forme de procès et qui répandent sur la toile un flot d'injures allant de la méchanceté gratuite à l'anti-islamisme (voire au racisme) flagrant. De ceux-la, je ne m'occuperai pas : nous savons depuis Brassens que ce sont des idiots.

De l'autre côté du cyber-bar, il y une autre catégorie de gens que je ne sais trop comment qualifier. Intellos de gauche sans doute ; humanistes autoproclamés ; issus de milieux populaires pour la plupart (ils n'aiment pas les riches, c'est évident !) ; immigrés de seconde ou troisième génération pour certains ; conspirationnistes, altermondialistes et autres antistes, et j'en passe... Difficile de leur coller une étiquette, mais ils sont partout !

J'en parlais déjà ici : ils sont toujours les premiers lorsqu'il il s'agit de colporter n'importe-quel hoax sans en vérifier les sources. Pour exemple : il y a quelques semaines, un article a fait le tour du web, qui expliquait que les citoyens américains seraient contraints, en 2013, de se faire implanter une puce électronique sous-cutanée. Information dont il était facile de vérifier qu'elle était fantaisiste, mais qui fut pourtant reprise en chœurs et assortie de « Oh ! » et de « Ah ! » et autres « Quelle horreur ! », « C'est le début de la fin ! », « Big Brother est parmi nous » et j'en passe...

Mais la folie ne s'arrête pas là : je le mentionnais déjà dans mon article, ces mêmes gens qui s'empressent de colporter tout et n'importe quoi - dès-lors que cela provient d'un internaute isolé - se méfient par contre de toute information émanant de sources « officielles ». Friands de théories du complot, allant du faux alunissage de 1969 à George W. Bush dézinguant lui-même le World Trade Center, ils dénoncent sans arrêt la propagande, les manipulations, les mensonges auxquels se livrent nos gouvernants, nos multinationales, nos médias. Non pas qu'on nous dise toujours la vérité, mais enfin tout de même, on ne nous ment pas tout le temps non plus ! C'est vérifiable.

Ainsi donc, pour en revenir à l'affaire qui nous préoccupe, dont j'ai déjà causé il y a quelques jours, le web se déchaîne et l'on peut lire à propos de Mohammed Merah toutes sortes de choses un tantinet curieuses. Mais avant d'aller plus avant, je préciserai prudemment ma pensée quant à quelques points (on n'est jamais trop prudent ^^) :
- Oui, je me suis demandé comme tout le monde s'il n'y aurait pas eu moyen de capturer Mohammed Merah vivant, d'user par exemple de gaz soporifiques (apparemment non). J'ai déploré qu'il ait fallu l'abattre : un procès équitable aurait été plus profitable à la société française qu'une exécution, fut-elle en légitime défense (ce que je ne conteste pas). Par ailleurs, j'ai déjà exprimé ici ma position concernant la peine de mort.
- Oui, je reconnais que la classe politique a tenté, et tentera encore de s'approprier cette affaire en vue des élections à venir. C'est pitoyable certes, mais cela fait partie du jeu politique. Bien sûr que les critiques de Mme. Le Pen à l'égard de l'appareil judiciaire et policier, qui ont laissé le loup en liberté, sont faciles. Bien sûr que la déclaration éclair de M. Sarkozy, suite à la mort de Merah, était ridicule. Je viens en hâte ; j'assène d'un ton sec et empressé un speech où tout s'enchaîne en vrac ; j'annonce ni vu ni connu qu'un nouvel arsenal juridique sera mis en place – usant du futur et non du conditionnel, comme si en France l'exécutif avait le pouvoir de décider de telles choses sans l'aval du législatif, de surcroît à la veille d'un probable changement de gouvernement ; je dis au revoir et je me casse tout aussi empressé que je suis venu, parce que j'ai une campagne présidentielle à poursuivre. Oh, monsieur Sarkozy ! N'étiez-vous pas censé avoir compris votre erreur, rétablir la dignité de la fonction présidentielle ? Imaginez-vous l'un de vos prédécesseurs faire pareil numéro devant les caméras ? Enfin bref, tout ça pour dire que nos politiques n'ont pas fait preuve du plus grand panache dans cette affaire, comme d'hab'. Amen.
- Oui, j'ai déjà affirmé sur ce blog que Mohammed Merah était un malade mental et non l'incarnation du mal. J'ai déjà admis qu'il n'était pas impensable de faire preuve de compassion même à l'égard d'un meurtrier, de même qu'à l'égard de ses proches.
- Oui, ce genre de situations, ce genre de drames, doivent nous servir de piqûre de rappel, nous rappeler qu'il y a des points sur lesquels la République a échoué, en matière d'intégration, d'éducation, de pédagogie, de suivi social et psychologique, de réinsertion, de banlieues... La société ne peut se substituer à la responsabilité individuelle de chacun, moralement et pénalement, mais il est urgent de réagir et de guérir nos banlieues malades, avant que ce ne soient elles qui ne nous nettoient au Kärcher.

Ceci étant dit...

Je lis des choses incroyables !

Par exemple que Mohammed Merah n'a tué personne, qu'à part lui personne d'ailleurs n'a été tué car on n'a vu aucun corps (?), que les sept victimes n'existent donc tout simplement pas, que tout cela a été ourdi par l'UMP afin de récupérer des électeurs et de monter les Français contre les immigrés, que ce pauvre Momo s'est trouvé pris dans un piège diabolique et qu'on l'a exécuté froidement et sciemment afin qu'il ne puisse clamer son innocence...

Wow !

Plus modérés mais à peine moins délirants, il y a ceux qui affirment que oui, Mohammed Merah a bien tué sept personnes, qu'il a bien tiré sur la police, mais que ce n'est pas sa faute. Pas du tout sa faute. Il a fait tout ça parce qu'il était pauvre, parce que les Français sont tous racistes et indifférents à la misère des immigrés, parce que cette indifférence l'a poussé dans les bras du Djihad. Lui c'est une victime. Les criminels ce sont tous les autres : les sales Français, les sales Juifs, les sales riches, les sales flics et même le graphiste Christophe Lacaux (à en croire un commentateur anonyme de mon article précédent)... Nous devrions tous avoir honte. Nous devrions élever un monument à la mémoire de Mohammed Merah, tombé non pas pour mais par la France, et verser des dommages et intérêts à sa famille, victime elle aussi de notre ignominie.

Heu...

Non mais attendez là...

Alors déjà il y a des vrais gens dont les proches ont été assassinés par Mohammed Merah. Des gens qui n'avaient rien demandé. C'est assez odieux de leur imposer ce genre de déni ! Non non Madame : votre enfant n'est pas mort, il a pas été assassiné, il n'a jamais existé en fait. Sans déconner ?!

Ensuite, concernant le mensonge d'État, je veux bien qu'on nous balnave sur des trucs comme l'Affaire Karachi ou les histoires de fric avec Liliane Bettancourt. Mais d'ici à inventer sept cadavres, sur le sol français, dont des enfants exécutés dans une école devant témoins, c'est un peu fort de café ! De même qu'aller fabriquer des fausses preuves (je pense à cette voiture pleine d'armes) et mettre en scène un siège de trente heures pour choper un innocent qui en fait ne serait ni fou ni armé... Heu... Non. Là, vous hallucinez les mecs. On est en France, pas en Corée du Nord. Le président est pote avec les patrons des médias, OK, mais il y a des limites à tout.

Quant au scénario de la victime de la société dans son ensemble à commencer par ce pauvre Christophe Lacaux (dont j'affirme qu'il s'agit d'un type généreux, profondément humain et certainement pas raciste !), moi je veux bien mais ça nous mène où exactement ? Il faut toujours aller jusqu'au bout des raisonnements que l'on prétend défendre. Toujours. Ça permet de mesurer la portée de ce que l'on affirme.

Sous prétexte qu'il y a des injustice, une inégalité des chances au départ, de l'indifférence et du racisme, de la pauvreté, toute personne issue de l'immigration est donc totalement lavée de sa responsabilité en cas d'acte criminel ? Érick Schmitt, lui, c'était un sale forcené. Marc Dutroux n'en parlons pas : un odieux pervers ! Parce qu'ils s'appelaient Schmitt et Dutroux, ils n'avaient pas d'excuses mais par contre, si tu t'appelles Merah et que t'as grandi en banlieue, c'est pas de ta faute ? Putain mais ça craint ce genre de dérive ! Vous feriez mieux d'aller voter pour Marine direct, parce qu'avec des discours pareils vous lui tendez le bâton pour se faire élire !

Dans un cas, la dérive communico-politique justifie l'injustifiable et transforme le meurtrier en victime dès-lors que ça passe à la télé. Dans l'autre, les échecs socioculturels de la République justifient l'injustifiable et transforment le meurtrier en victime dès-lors qu'il est pauvre et/ou issu de l'immigration.

Dans les deux cas, l'individu est déresponsabilisé. C'est pas sa faute. C'est une victime, voire un héros, un martyr non-pas de l'islam mais de la bienséance alterantigauchoparano.

Et une fois encore, le citoyen qui se veut militant creuse sa propre tombe, affirmant le contraire de ce qu'il devrait affirmer s'il voulait être cohérent avec les idées qu'il croit défendre ! De même qu'en répandant sans discernement des infos erronées ou mensongères, l'internaute flingue sa liberté d'expression si chérie, c'est sa citoyenneté qu'il démolit lorsqu'il nie son propre droit à être responsable de ses actes.

Il faut toujours aller jusqu'au bout des raisonnements que l'on prétend défendre. Toujours. Ça permet de mesurer la portée de ce que l'on affirme.

Si Mohammed Merah n'est pas responsable, si Mohammed Merah est une victime du complot politico-médiatico-industriel ou de la société française indifférente et raciste, alors moi non plus, toi non plus, plus personne n'est responsable de ce qu'il dit ou fait. Nous sommes tous des enfants. Nous sommes tous soit manipulés soit conditionnés. Nous pouvons écrire n'importe quoi sur internet, battre nos femmes et nos gosses, lancer des insultes racistes à nos voisins, rouler bourrés, poser des bombes... Ce n'est pas notre faute, c'est la faute de la société, c'est la faute du pouvoir ! Ce que ces internautes affirment, c'est que le citoyen français n'est pas capable d'assumer les droits et les devoirs qui sont les siens. Ce qu'ils affirment, c'est que le citoyen français est un enfant. Et si l'on ne parle que du Français issu de l'immigration, c'est encore pire : on retombe dans les pires heures du paternalisme colonial ! Affirmant que le pauvre Arabe (ou le pauvre Noir) n'est pas capable de porter le poids de ses problèmes (dont est responsable le Français de souche, certes, mais cela sous-entend que ce même Français de souche est de facto plus fort, plus solide), l'argument anti-raciste devient plus odieusement raciste que tout ce qu'il dénonce ! Le pauv' petit Arabe, il est pas capable de faire face. C'est un enfant

L'enfant, il est sous la tutelle de ses parents ou, faute de parents, de la nation. Il n'a pas le droit de disposer de lui-même. En sombrant dans de délirantes théories du complot ou de victimisation, l'internaute justifie donc ce qu'il voudrait dénoncer ! Si le citoyen français (de souche ou non) est à ce point naïf, à ce point manipulable, si peu maître de son destin, alors cela signifie que le citoyen français est indigne des libertés qui lui sont offertes. Indigne de voter, voire de s'exprimer librement. Ainsi donc, il serait plus raisonnable de rétablir dès aujourd'hui un régime autoritaire, de type fasciste ou communiste, qui prendrait en charge la destinée des gens comme vous et moi. Plus de droit de vote. Plus de liberté d'expression. C'est pour votre bien !

Et voilà comment, après avoir noyé leur liberté d'expression sous le poids d'une désinformation citoyenne, les internautes sont en train d'enterrer la démocratie sous les décombres de la paranoïa et de la bienséance.

Heureusement, il y a au milieu de la mêlée des tas d'autres gens raisonnables, modérés, prudents. Je les conjure de redoubler de vigilance. Ne soyons plus passifs face aux hoax, aux théories du complot, à la mauvaise foi. Ces spectres pas si innocents, qui n'ont pas fini de hanter nos écrans...

C'est que le début, d'accord d'accord...

25 mars 2012

La mort inutile de Mohammed Merah


Il était jeune, il était beau, il sentait bon le sang chaud... Il était mort et il avait tout fait pour...

Mohammed Merah est mort. Il a défrayé la chronique et il est mort. Affaire classée...

Qu'est-ce que t'as branlé, Mohammed ? Elle a servi à rien, ta mort de pseudo-martyr...

Qu'est-ce que t'as branlé, Mohammed ? À l'heure où j'écris ces lignes, samedi soir, tu pourrais être quelque part en boite, en train de rigoler avec tes potes, de séduire une minette aux yeux de biche, de faire des conneries de petit con peut-être, mais des conneries qui au moins ne prêteraient guère à conséquences. Après ça, tu te serais sans doute marié, t'aurais eu quelques gamins, t'aurais p'têt' ben divorcé aussi au bout du compte mais quand même ta mère, là, au lieu de pleurer toute seule dans son lit jusqu'à la fin de ses jours, elle aurait pu faire sauter ses petits-enfants sur ses genoux. Tu crois pas que ça aurait été plus joli, comme tableau ?

Non. Toi, à la place, c'est avec des bombes que tu rêvais de faire sauter les petits enfants. Tu l'as lu dans quel sens, le Coran ? C'est où qu'y a écrit que Dieu est un vicelard qui prend Son pied quand les croyants shootent des petits enfants ? Non parce qu'attend, là, il faut visualiser les choses. Dieu, selon toi, Il kiffe qu'on tue les Infidèles. Il a décidé d'instaurer une Loi sur la terre, et Il a décidé de laisser à ceux qui la suivent la lourde tâche de botter le cul de tous les autres. Admettons : je vais pas remettre en cause tes convictions les plus intimes. Mais alors allons jusqu'au bout : visualisons. Essaie de te L'imaginer, ton Bon Dieu, en train de te regarder tirer sur les petits enfants. Essaie de L'imaginer en train de regarder les balles qui déchirent la chair du gosse, la grimace de douleur sur le visage du gosse, le petit corps qui s'écroule. Essaie d'imaginer Dieu en train de mater ça en se frottant les mains, jubilant de voir que Son brave petit Mohammed travaille bien, sert bien la Cause. Tu as rigolé, toi, quand t'as regardé les vidéos après coup ? Tu trouvais ça beau ? C'est bien possible remarque, puisqu'il paraît que tu regardais les snuff-movies des Talibans. Tu trouvais ça beau, la mort ? Le sang qui gicle, la peur dans les yeux, la chair qui se déchire, les os qui explosent ? Tu crois que c'est ça qu'Il kiffe, Dieu ? Le spectacle de Ses créatures détruisant Ses créatures, désacralisant la chair qu'Il a créée, la réduisant en bouillie ? Tu crois que Dieu est un vieux Taliban pervers, qui mate des snuffs sur internet, qui se marre devant ça comme d'autres rigolent d'une blague cochonne ? Je les ai regardés jadis, ces snuffs, curiosité malsaine oblige. Je sais à quoi ça ressemble, Mohammed, une balle qui fait sauter une cervelle, une gorge tranchée au couteau pendant que le mec gueule comme un cochon à l'abattoir. Ça m'a rendu malade, évidemment. Et je peine à croire que Dieu, là-haut, Il trouve ça joli. J'ai du mal à croire qu'Il trouve ça drôle. J'ai du mal à croire qu'Il trouve ça bien.

Tu te Le figures vraiment comme ça, Dieu : comme un vieux sadique ? Ou tu Le vois façon Premier Testament : implacable et sévère, genre totalement dépourvu d'humour ? Dans tous les cas, tu crois pas qu'Il est un peu moins raz-les-pâquerettes que ça, Dieu ? Tu crois pas qu'Il est un peu trop haut, rapport à nous autres, pour aller se réjouir du fait qu'un pauvre con s'en aille flinguer quelques flics et quelques enfants juifs ? Tu Le réduis vraiment à peau-de-chagrin, ce Dieu que tu prétends honorer. Tu Le réduis vraiment à un tout petit être, qui aurait de toutes petites préoccupations. Et des désirs par trop humains.

Ah oui, j'oubliais : il fallait aussi venger les enfants palestiniens. Ils sont bien contents, les morts de Palestine, avec tes conneries. Ça leur fait une belle jambe de bois, tiens ! C'est sûr qu'en flinguant les flics et les petits enfants, t'as rudement fait avancer la cause palestinienne. À donf'. Bouffon, va !

Mais toi tu t'en fous, parce que maintenant parait-il que t'es un Martyr, bien pépère là-haut au Paradis, avec des vierges et buffet à volonté. On s'est bien fichu de ta gueule, Mohammed. Pourtant le Vieux de la Montagne il est mort depuis neuf-cent ans, t'étais pas au jus ? Je crois pas trop au Paradis ni à l'Enfer, c'est vrai. Je suis plutôt porté sur la transmigration des âmes, tout ça. Je sais pas où t'es, mon vieux, mais je sais que t'es pas en train de baiser des vierges au paradis, ni en train de jouir de la félicité de ton Créateur satisfait, en récompense des services rendus. C'est des contes de bonnes femmes, pour faire faire ce qu'on veut aux idiots, ton Paradis des Martyrs. À vingt-trois ans, t'étais pas un peu vieux pour croire au Père-Noël ?

Perso, j'imagine plutôt ton âme en train de errer, hagarde, dans les ruelles sombres de Toulouse. Je te vois bien en fantôme effarouché, en train de te demander si t'es vivant ou mort, si on t'aurait pas menti sur la marchandise, et si tu vas pas devoir commencer à regarder la vérité en face. La vérité grotesque de la chair déchirée des morts, la vérité tranchante des larmes des vivants. J'en sais rien. En tout cas t'es pas au Paradis, ça j'en suis sûr. Dieu, il est pas si bête.

T'es pas un héros non plus, ça tout le monde en est sûr. Ta mort elle était pas courageuse. Elle était pas lâche non plus, remarque. Elle était juste conne. Elle a servi à rien. La mort des pauvres bougres que t'as flingués, elle a servi à rien non plus. Ni à faire plaisir à Dieu, ni à servir l'islam que tu viens de traîner dans la boue (il n'y a qu'à voir tes « frères » musulmans, qui ne trouvent pas assez de mots pour se distancer de toi). La France entière te conspue, te traite de monstre et de boucher mais moi, je sais bien que tu n'étais pas un grand méchant terroriste. Juste un pauvre petit malade mental, un pauvre erre, un paumé de première classe. C'était pas d'un juge d'instruction que t'avais besoin, c'était d'un psychiatre. Tes actes ont causé trop de peine, ont fait coulé trop de sang... L'horreur bien souvent masque le ridicule. Pourtant, le ridicule est bel et bien là. T'étais juste l'idiot du village, comme on disait autrefois. Un pauvre petit fada qui croyait aux contes de fées, qui a foutu sa vie en l'air au nom des contes de fées.

Alors cet article, bien-sûr, c'est pas pour toi que je l'écris. Toi t'as perdu. T'as sombré, corps et âme. Ça sert à rien de frapper l'ennemi à terre. Je t'en veux pas, Momo. T'es à blâmer, certes, mais t'es aussi à plaindre. Non, cet article je l'écris à l'intention des bouffons du monde entier, à qui viendrait l'idée de t'imiter, qui s'imaginent que le Djihad, c'est cool. Ce que je veux leur dire, c'est que ta mort ridicule, elle est pas cool. Elle est pas glorieuse non plus. Elle est insignifiante. Elle a fichu un beau bordel mais tout cela sera bien vite oublié, effacé par la course de l'actualité. C'était pas un truc important comme une guerre, un coup d'état, une élection, un tsunami, une nouvelle loi. Même la putain de loi sur l'interdiction de fumer dans les bars, elle est plus importante que la vie et la mort de Mohammed Merah.

J'ai de la peine pour lui. Parce qu'il est pas en boite ce soir, en train de rigoler avec ses potes et de séduire une fille aux yeux de biche. J'ai de la peine pour lui parce qu'il a sans doute brisé le cœur de sa maman et ça, c'est pas dans le Coran. J'ai de la peine pour lui parce que ce petit con, il est mort comme un gros con. Mais par-delà la compassion, j'ai quand même un peu envie de me foutre de lui. C'est pas méchant, c'est juste lucide : Mohammed Merah était pathétique, ridicule, grotesque. Ses grandes phrases aux négociateurs du RAID, ses petites convictions de moudjahidin à deux balles : c'était du bidon, tout ça... Alors je me moque un peu, puis je pense à autre chose, et puis j'oublie... Quinze ans après, qui se souvient encore de Khaled Kelkal, de ce qu'il a fait et de pourquoi il l'a fait ? Personne. Tout le monde s'en branle de Khaled Kelkal... 

Du coup, chers apprentis-Talibans qui songez à passer à l'acte, si la question de savoir si c'est bien ou mal vous semble tranchée, si vous êtes en outre convaincus que Dieu kiffe les snuff-movies, demandez-vous juste si c'est digne ou ridicule. Parce qu'être un Martyr du Djihad, être un killer un vrai, être l'Ennemi Public Numéro Un, ça vous excite peut-être. Mais n'être au fond qu'un clown triste, un bouffon de seconde zone, risible et vite oublié, je sais pas trop si ça vaut la peine de tuer... 

Ni de mourir...

24 mars 2012

Nicolas Fargues

Petit retour sur One man show et Beau rôle, deux romans de l'écrivain Nicolas Fargues que j'ai beaucoup aimés. Il y a de la finesse dans ces deux livres, une finesse d'analyse à propos de la fausseté, des compromis, de la manière dont un être humain se met en scène. C'est très bien écrit (on serait tenté de dire que c'est la moindre des choses pour un auteur publié mais ça n'est pas toujours si évident que ça) et c'est surtout radical : Fargues tape là où ça fait mal.

One man show et Beau rôle ont en commun d'être racontés à la première personne par leurs protagonistes. L'un est écrivain, l'autre est acteur. Tous deux sont en proie aux vicissitudes d'un succès modeste, mais suffisamment important pour affecter leur quotidien. Tous deux sont empêtrés dans un réajustement constant du « personnage » qu'ils s'efforcent de composer. Tous deux sont sans cesse pris en otage entre, d'un côté, l'envie et l'admiration des « anonymes » et, de l'autre, le mépris condescendant de ceux qui sont plus célèbres qu'eux.

Les deux personnages sont des monstres d'hypocrisie, des calculateurs qui dissimulent leurs insécurités derrière des manœuvres incessantes, toutes destinées à susciter l'approbation des gens qu'ils rencontrent. Quoi qu'il arrive, quoi qu'ils disent ou fassent, il faut qu'on les approuve. Ce qui les différencie d'autres créatures littéraires « superficielles », par exemple des héros hallucinés de Bret Easton Ellis, c'est qu'ils font preuve d'une lucidité totale, d'une honnêteté absolue envers le lecteur-confesseur. Ils mentent à tout le monde, mais à nous, ils disent tout. Ils nous expliquent comment, pourquoi et qui ils embobinent. Ils nous livrent le compte-rendu détaillé de leurs intrigues et de leurs stratégies mesquines. Ils nous confient leurs (innombrables) frustrations. Il en résulte que ces personnages a priori détestables deviennent touchants : ils sont plus pathétiques que méchants. Ils sont surtout désespérés.

Christophe Hostier, le « héros » de One man show, est à ce point embourbé dans sa lâcheté, dans ses manœuvres minables, qu'on finit par se sentir très mal à l'aise. On est embarrassé pour lui, on a honte pour et de lui, on a honte à travers lui. D'une part, ses mensonges nous renvoient aux nôtres, nous rappellent à l'ordre. D'autre part, ses stratégies sont d'une précarité branlante : il risque sans cesse de basculer dans l’abîme sans fond de l'humiliation. Page après page, on a peur de basculer avec lui. Le frisson est autrement plus grand qu'à la lecture d'un roman d'espionnage : on sait qu'au bout du compte James Bond ne meurt jamais, mais les antihéros de Nicolas Fargues, eux, peuvent sombrer à tout moment dans le ridicule.

Et ils y sombrent ! Sans arrêt ! Leurs velléités manipulatrices échouent les unes après les autres ! À chaque naufrage, le lecteur est terrifié, attend que le ciel lui tombe sur la tête et... il ne se passe rien ! Absolument rien. Toute la tension dramatique accumulée tombe à l'eau, parce que les vies de ces hommes sont trop insignifiantes pour que leur destin puisse basculer tout à fait. Leur statu quo existentiel est trop fade pour que rien ne parvienne à le bouleverser vraiment. C'est le grand tour de force de Nicolas Fargues, ces flops dramaturgiques qui, au lieu de nous frustrer, soulignent le propos de l'auteur : la vanité est vaine. Ça n'a l'air de rien mais comme technique littéraire, c'est très fort, cet art du « bide maîtrisé ». Il n'est pas donné à n'importe quel écrivain de planter le lecteur au moment où le suspense est à son comble et, ce faisant, de réussir un pari poétique !

Mis à part ça, c'est truffé de petites remarques cinglantes sur l'ego des artistes, sur la psychologie humaine, sur l'art du dialogue, sur l'âge et le temps qui passe, sur l'immigration, sur ce que l'on pourrait qualifier de médiocrité française. Toutes choses qui font que ces deux romans, comme la plupart des bons romans, remettent tout en cause.

Alors voilà...

13 mars 2012

Quelques photos du Cambodge : Angkor

Photos prises par Nia et Evelyne lors de notre récent voyage à Angkor. La sélection est de Nia. 



















9 mars 2012

Toutes les dettes ne sont pas publiques...

« Même la brave Iphigénie allemande (...) devine à quel point il est fatal d'être l'enfant de sa famille. Toutefois sous aucun personnage la chère vie de famille ne se montre plus crûment que sous celui de Kronos qui dévore ses propres enfants. Je crois que cette belle et ancienne coutume est demeurée une aimable tradition jusqu'à nos jours et il n'y a sans doute personne d'entre nous qui ne pourrait pas aussi s'appliquer à lui-même :
Ma mère qui me tua,
Mon père qui me mangea.
Il est vrai qu'aujourd'hui on est plus civilisé et qu'on ne se jette plus sur le couteau et la fourchette pour dévorer ses propres enfants (en effet, les manières de table sont très compliquées dans le lieu dont je suis originaire), simplement, grâce à une éducation appropriée, on fait en sorte que plus tard les enfants attrapent le cancer ; et ainsi, selon la coutume des aïeux, ils peuvent être dévorés par les parents. »
Fritz Zorn, Mars.

Nombre de traditions et spécificités des cultures orientales me semblent plus sages, plus pertinentes, me parlent davantage en tout cas, que leurs équivalents occidentaux. Nombre d'entre elles mais pas toutes. Hors, s'il est une tradition profondément ancrée en Asie, et tout particulièrement au Cambodge, c'est celle qui veut que les enfants aient une dette insolvable envers leurs parents. Cette conviction existe certes également chez nous, mais elle s'y exprime avec bien moins de véhémence.

Il faut comprendre qu'ici en Asie - tout comme en Europe autrefois - l'enfant est avant tout un investissement pour l'avenir : dans une société dépourvue de tout système de retraite (que ce soit par répartition ou capitalisation), l'enfant est garant des vieux jours de ses géniteurs. Il veillera sur eux, il leur versera une grasse part de ses revenus, il leur assurera des soins et un toit si nécessaire... Et il élèvera à son tour des enfants qui feront de même, le moment venu, tout ceci perdurant ad vitam æternam... Pour simplifier : on ne procréé pas tant par amour que par nécessité (cette vision est évidemment réductrice, mais nous choisirons néanmoins de nous y cantonner pour cet article).

Tout cela procède certes d'une vision fort pragmatique des choses, et l'on est en droit de se demander si cela n'est pas mieux que tous ces vieux qui, en Occident, croupissent dans des maisons de retraite sordides quand ils ne crèvent pas tout bonnement, oubliés de tous dans leurs logements sociaux, lors des canicules. On peut toujours citer un extrême pour justifier son opposé...

Reste à voir ce que cela donne dans le concret, quel genre d'individus cela produit, quel genre de joies et de souffrances. Reste surtout à voir comment l'on assure la survie d'un système si farouchement hostile à l'individualisme et à l'instinct rebelle des jeunes homo sapiens. On perpétue le système à l'aide de trois tout petits mots, trois petits mots magiques : « culpabilisation » et « chantage affectif ». On explique dès leur plus jeune âge aux enfants qu'ils doivent être infiniment reconnaissants à leurs parents ; leurs parents aimants qui leur ont donné la vie ; leurs parents aimants qui ont sué sang et eau, depuis la grossesse de maman jusqu'aux heures supplémentaires de papa, afin de leur offrir une éducation et de leur donner les moyens d'être heureux... Le meilleur moyen d'être heureux étant bien entendu d'honorer sa dette, donc ses parents, et d'être ainsi un « bon fils » ou une « bonne fille », respecté(e) de tous et libre d'élever à son tour de dociles petits esclaves endettés. Faire autrement reviendrait à être un monstre d'ingratitude, le responsable de souffrances inqualifiables, un être odieux qu'il conviendrait de mettre au ban de la société. La religion chrétienne a déjà prouvé, chez nous, les désastres psychologiques engendrés par un sentiment de culpabilité inculqué comme condition sine qua non de l'existence. Une telle éducation ne peut conduire qu'à des individus en souffrance et c'est d'autant plus dommage de la voir ainsi répandue en Asie, où les religions hindoue et bouddhiste ne sont pas entachées d'un péché originel, mais invitent au contraire le croyant à recouvrer sa pureté originelle par la méditation et autre pieux procédés... Ce que la religion n'avait pas inventé, il a fallu que les pères et les mères le créent en lieu et place...

« Je ne peux pas travailler moins de douze heures par jours six jours sur sept parce que je dois aider mes parents. » « Je ne peux pas me marier tant que je n'aurai pas payé les études de mes petits frères et sœurs à la place de mes parents. » « Je ne peux pas faire quoi que ce soit de ce que j'ai envie de faire, et je suis contraint d'accepter un travail qui me déplait parce qu'il rapporte davantage que celui qui me plait, parce que je dois envoyer de l'argent à ma famille. » « Je ne peux pas épouser telle fille ou tel garçon que j'aime [selon qui, d'un pays à l'autre, doit payer la dot] parce qu'il/elle ne rapportera pas assez d'argent à la famille. » Je ne dis pas que ces phrases sont, mot pour mot, représentatives de tous les gens que j'ai rencontré en Asie. Néanmoins, de semblables préoccupations, de semblables pressions exercées ont été exprimées par la grande majorité d'entre eux, à des degrés divers. Pour être perçues comme « normales », ces pressions n'en étaient pas moins ressenties comme contraignantes et douloureuses. 

Disons-le franchement, je pense qu'en Occident, grand nombre de parents (névrosés, malveillants, violents, irresponsables et j'en passe) devraient être interdits de procréation : l'individualisme n'a pas résolu tous nos problèmes généalogiques et loin s'en faut. Ceci étant, le fait reste que l'enfant n'a – transmigration des âmes mise à part – pas exactement réclamé qu'on le mette au monde et qu'on « souffre » tant pour lui permettre de grandir. L'enfant n'en a cure, lorsqu'il flotte tranquillement dans le placenta de sa mère. L'enfant venant au monde obéit à une loi universelle qui veut que ce qui vit tende à se reproduire. Les parent obéissent quant à eux à une autre loi de la nature, qui dicte aux mammifères d'élèver leurs petits jusqu'à maturité. Dès-lors, je peine à comprendre qu'un enfant puisse contracter une dette envers ses géniteurs, ceux-ci n'ayant somme toute fait qu'accomplir une série d'actes qu'il eut été, d'un point de vue moral autant que « naturel », très discutable (sinon répréhensible) de ne pas accomplir.

L'homme et la femme choisissent de s'accoupler et, en ces temps de contraception et d'avortement, ils choisissent également d'enfanter. Le nouveau-né n'a rien demandé, il est dans l'acte de la naissance, de la vie même, l'objet du choix de ses parents-sujets. Non pas pour dire que la vie n'est pas une belle chose en soi mais pour affirmer que non, l'enfant n'est pas redevable de son existence à ses parents. Bien au contraire, il me semble que les parents, en tant que mammifères et en tant que membres de sociétés qui se veulent gouvernées par la morale, sont redevables à leurs enfants. C'est aux parents d'assurer à leur progéniture un environnement propice à leur développement et à l'accomplissement serein de leur vie future. Ce n'est pas un cadeau qu'ils leur font : c'est leur devoir et leur responsabilité. Dès-lors, le système moral en vigueur en Asie prend des allures de retournement de situation pour le moins scabreux, dont la seule fin est d'assurer l'assujettissement des enfants et, par extension, la création d'une chaîne d'esclaves ininterrompue.

Suis-je en train d'affirmer qu'il faut laisser crever les vieux seuls et abandonnés de tous ? Non, il existe par ailleurs une autre loi morale qui est celle de la solidarité, qui exige que les membres d'une société prennent soin des plus faibles, à commencer par ceux de leur entourage direct. Que ce soin néanmoins reste affranchi de toute manipulation psychologique, culpabilisation abusive, mensonge éhonté, cela me semble indispensable. Que des « mauvais parents » (j'entends par là des parents qui ont failli à leurs devoirs de manière significative, de sorte que leur progéniture soit mal dans sa peau, malade mentale ou du moins en grande souffrance psychologique) puissent être reconnus comme tels me semble primordial. Que ce soient eux qui aient une dette envers leurs enfants (chose tout à fait inconcevable en Asie) me semble juste. Dans tous les cas, le renversement de valeurs qui consiste à affirmer que le parent « rend un service » à l'enfant lorsqu'il ne fait qu'accomplir « ce qui devrait aller de soi » n'est rien moins qu'une escroquerie morbide et mortifère : je le dis sans bémol ni pincettes ! Ne soyons pas reconnaissants envers nos parents de nous avoir élevés lorsqu'ils l'ont bien fait, ne soyons pas endettés. Contentons-nous de leur rendre l'amour qu'ils nous portent. Les actes suivront d'eux-mêmes.

Ce qui me ramène à Fritz Zorn et à quelque chose d'un peu plus personnel. Il serait malhonnête d'affirmer que mes réflexions à ce sujet sont neutres et totalement indépendantes de mon histoire personnelle. Comme Zorn, je considère que les parents (et l'éducation qu'ils nous donnent) peuvent être d'un haut degré de toxicité pour la psyché. Comme Zorn, j'estime avoir subi des préjudices importants et comme lui, j'estime que les sommes d'argent héritées de mes parents ne sont ni plus ni moins que des dommages et intérêts pour une enfance qui fut des plus douloureuses et qui très certainement, a rendu ma vie d'adulte bien plus compliquée qu'elle n'aurait pu l'être. Il est arrivé que certaines personnes, par jalousie ou par marxisme, me reprochent d'avoir déjà touché - et d'être destiné à toucher encore - de « l'argent facile », que je n'avais « pas mérité ». Je les invite à aller se faire foutre. Ils n'ont de toute évidence pas eu la « chance » d'être élevés par une mère alcoolique et ultra-violente. Quant aux Asiatiques, l'idée d'être dédommagé par ses parents en choquerait plus d'un. Amen ! Je cède à ce sujet la parole à Zorn, qui exprime avec précision ce que je pense de tout cela :

« C'est là que se trouve mon héritage familial sous sa forme visible, et seule une infime partie de cet héritage consiste en milliers de francs, il consiste surtout en milliers d'angoisses et de détresses et de désespoirs. (...) Je considère cet argent comme mes dommages et intérêts : je l'ai touché pour mes nombreux chagrins et souffrances ; je l'ai gagné plus amèrement qu'à la seule sueur de mon front, je l'ai gagné avec les larmes de mes yeux ; je considère qu'il est bien gagné et qu'il est à moi. J'aperçois même, derrière ma situation financière actuelle, une justice sociale : bien sûr, j'ai hérité de mes parents plus d'argent que d'autres, mais j'ai aussi besoin de plus d'argent que d'autres car les nombreux dommages que j'ai aussi hérité de mes parents, je dois les faire réparer contre de grosses sommes d'argent. »

Alors voilà...

6 mars 2012

Quelques photos du Cambodge : Sen Monorom

Photos prises par Nia et Evelyne lors de notre récent voyage à Sen Monorom. La sélection est de Nia.















2 mars 2012

City Of Light

Je vous parlais déjà l'autre jour de mon histoire d'amour avec la musique de Bill Laswell...

Voici (via quelques Youtubenautes avertis), l'album City Of Light (1997) dans son intégralité. Voix par Lori Carson (USA), tablas par Trilok Gurtu (Inde), collages sonores par Coil (UK) et Tetsu Inoue (Japon), le reste par Laswell. 

Montez le son, éteignez la lumière, fermez les yeux...







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